👀 s'identifier aux "chinois·es"


S'identifier aux "chinois·es"

Et se plonger dans des histoires d'humain·es

Cette newsletter fait partie d'une réflexion globale sur :
"Comment représenter des personnages asiatiques sans les caricaturer ?"
Vous pouvez lire la 1e partie "Dessiner les chinois·ses" et la 2e partie Incarner les "chinois·es à l'écran"


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Dans les newsletters précédentes, j’ai donné des exemples de représentation des chinois·es ou personnes asiatiquetées, dans les BD, dessins animés, les films et les séries.

La plupart de ces représentations sont caricaturales et ne donnent absolument pas la possibilité d’être en connexion avec les personnages, de s’identifier à elles et eux.

Aujourd’hui, je vous raconte pourquoi il est important de permettre à toustes de pouvoir s’identifier à des personnages “chinois” ou asiatiquetés.

Avant d’aller plus loin, un point de vocabulaire.

Une notion très importante pour désigner la diversité des personnes, c’est celle de personnes asiatiquetées.

Je l’utilise généralement sans guillemets, sauf lorsque j’ai besoin de mettre l’accent sur le terme. C’est un adjectif qui qualifie toutes les personnes qu’on appelle “asiatiques”, mais qui est réducteur car en réalité, il regroupe essentiellement les personnes asiatiques à peau claire, du sud-est asiatique, ou d’origine chinoise.

En utilisant le mot “asiatiqueté”, nous pouvons rappeler qu’il s’agit d’une assignation raciale, et non une identité revendiquée ou un choix d’appartenance.

De la même manière, j’utilise aussi les termes de personnes racisées ou minorisées, non parce que les personnes appartiennent à une race pré-supposée ou à une minorité, mais parce que ces personnes sont l’objet d’une perception ou de comportements raciste ou oppressifs.

Les personnes sud-asiatiques ou Brown sont trop souvent invisibilisées dans le terme “asiatiques”. Dans le travail d’amélioration continue que je mène, pour moi-même et pour les personnes que je forme, c’est d’utiliser les termes les plus précis et surtout, choisis par les personnes concernées.


Aujourd’hui heureusement il y a de plus en plus de représentations, plus diversifiées et complexes, sur nos écrans.

Il y a toujours des personnages caricaturaux et désespérants.

(Non je n’ai pas vu Astérix et l’empire du milieu, et même ma conscience professionnelle m’a dit d’aller me tricoter un pull)

Mais aujourd’hui, je vous propose de braquer les projecteurs sur celles et ceux qui redonnent confiance en l’espèce humaine.

Des personnages qu’on a envie d’incarner, auxquels on peut s’identifier.

N’étant pas particulièrement cinéphile, ni même sériephile, je ne fais qu’analyser les quelques personnages que j’ai pu croiser.

Si vous avez des séries, films ou personnages de fictions qui vous viennent, faites-moi savoir !


Des histoires humaines avant tout

Qu’est-ce qui fait que je vais m’identifier à un·e personnage de fiction ?

Qu’est-ce qui me fait dire, tiens, j’ai un point commun avec lui ou elle ?

Il y a plein d’éléments

  • son identité de genre
  • sa situation familiale
  • la langue parlée
  • son histoire familiale
  • etc.


Et surtout, une histoire à soi.

Des émotions et de la complexité.

Des questionnements sur l’identité au-delà de l’assignation raciale.

Oui, parce que si questionnement identitaire il y a, ce n’est pas forcément vis à vis des blanc·hes ou des dominant·es, c’est aussi par rapport à soi.

Âge, identité sexuelle, orientation sexuelle, la réussite sociale, la violence intra-familiale etc.

C’est CETTE complexité-là qui manque dans la représentation des asiatiqueté·es.

Commençons par une soupe.

J’ai trouve que Crazy Rich Asian (2018) est une soupe.

Mais une soupe où les personnages sont majoritairement asiatiques et où ils ont une histoire à eux. C’est une soupe à 15 victoires et 70 nominations.

Dans le film, il est très gentiment de classe sociale, d’argent, de snobisme, de belle-mère pas sympa (ok on ne peut pas lutter contre tous les stéréotypes à la fois). Dans l'ensemble, on est sur un niveau de constat assez léger, pas sur de la lutte contre les inégalités sociales. Les asiatiques du film sont très majoritairement à peau claire, avec des standards de beauté occidentaux.

Je n’ai pas dit que ce film était super, mais simplement que des histoires pouvaient s’écrire en dehors du regard des personnes blanches.

D'ailleurs, il a fait grincer des dents les racistes qui reprochent au film de ne montrer que des personnes non-blanches. Rien que pour ça, c'était très bon.

Continuons avec un cocktail

Everything Everywhere All At Once (2022) a rencontré un succès fulgurant dans la communauté asiatique aux Etats Unis.

Et une pluie de récompenses dont 7 oscars.

Mon feed Instagram en pleurait, avec des reels d'extraits du film, des tuto pour réaliser les robes de Joy.

Pour une fois, on a un scénario complexe, fantastique et d’une créativité esthétique unique, qui parle de réussite à la chinoise, du “American Dream”, de gens qui ne savent plus se parler, avec majoritairement des personnes asiatiquetées.


Evelyn Wang (jouée par Michelle Yeoh) est une femme à bout. Elle nie l’homosexualité de sa fille Joy. Elle ne voit littéralement plus son mari Waymond (jouée par Ke Huy Quan). Ce sont des personnages réalistes. Elle a des problèmes de factures, elle se demande ce qu’elle aurait pu devenir si elle avait fait d’autres choix de vie. Elle jongle entre remise en question existentielle, relations familiales et taff.

Je ne sais pas vous, mais je me sens plus proche d’elle que de Ling Woo dans Ally McBeal.

Sous les projecteurs ? Ou juste à côté ?

Sans même tenir le rôle principal, le personnage de Mr Lao, interprété par Jason Tobin, dans la série A Thousand Blows (2025) parvient à tenir son propre arc narratif.

Ce n’était pas juste "un chinois" parmi d'autres, c’est un Hakka 客家, joué par un “Hong Kong boy” selon les termes de l'acteur.

Mr Lao a une histoire à lui. D'ailleurs, celle des personnages britanniques ne l'intéresse que moyennement, puisqu'il fera ce qu'il a décidé, quitte à pourrir le plan de ses complices.

En parlant de personnage secondaire, Willis Wu en est un.

Du moins, c’est ainsi que l’histoire commence, dans la série Interior Chinatown (2024)


C’est un sentiment que j’ai souvent eu, plus jeune.

J’étais la side kick, la faire-valoir de mes copines blanches. Selon mes critères d’enfant immigrée, elles étaient plus belles, plus grandes, plus tout.

La narration passait par elles, et moi j’occupais l’arrière-plan.

Personne ne rejetait mon histoire, c’est juste que collectivement, ce n’était pas le sujet.

Ce sentiment était renforcé par le fait que tous les personnages asiatiquetés que je connaissais jouaient ce rôle.

Dans la série, c'est le constat de départ de Willis Wu, interprété par Jimmy O. Wang. Sauf que ce n'est pas son plan, il a envie d'être autre chose.

Surtout quand il réalise qu'il est vraiment un personnage secondaire dans une série policière.

Surtout quand il commence à comprendre le mécanisme de la série dans laquelle il joue. Il veut être autre chose que le rôle assigné.

C'est un mélange de fantastique, d’analyse ultra fine des microagressions, de récits imbriqués, de traumatismes familiaux, et surtout, des histoires de migrations.

Cœur avec les mains pour le jeu de Ronny Chieng dans le rôle de Fatty Choi, le bon pote qu'on croit benêt et maladroit, mais inoubliable en "Mean Waiter". Les habitué·es des restaurants chinois où la bouffe est délicieuse mais le service affreux, vous serez servi·es.

Qui raconte l’histoire ?

Dans la cuisine des Nguyen (2024), comédie musicale, Yvonne Ngyuen doute.

Elle veut vivre de sa passion, la comédie musicale justement, mais il faut l’avouer, c’est un peu galère. La concurrence est rude, le racisme aussi. Elle est née en France et se considère d’abord comme une française. Elle parle mal le vietnamien, sa langue familiale.

Je divulgâche 2 scènes du film (bon c’est pas un thriller non plus)

Divulgâchis n°1

Cette scène de casting, où on lui demande de chanter en vietnamien alors qu’elle le parle à peine.

Je me suis sentie en totale empathie avec cette femme qui s’accroche à tout ce qu’elle a pour faire de son mieux, y compris quand on lui demande d'être une caricature.

Elle improvise une chanson avec les mots en vietnamien qu'elle a en tête, piochant dans les reproches de sa mère ou le menu du restaurant familial. Le tout face à un jury qui ne comprend pas un mot mais qu’importe, elle a répondu à la demande de les faire rêver.

Divulgâchis n°2

Le personnage de Fun Fen, même s’il est secondaire, est passionnant. C’est la “concurrente” d’Yvonne. Elle est celle qui réussit, qui ose, qui se la ramène, qu’on adore détester. Mais quand Yvonne lui reproche de surjouer l’accent “vietnamien”, elle répond avec sincérité : “mes parents parlent comme ça, et je ne trouve pas ça ridicule”.

Boum, de la complexité humaine.

Stéphane Ly-Cuong, auteur et réalisateur, a tout sorti dans ce film, les difficultés des artistes, le manque de moyens dans le monde du spectacle vivant, les stéréotypes qui collent à la peau des asiatiqueté·es dans le monde des arts du spectacle, le racisme quotidien, la concurrence mais aussi l’entraide entre les artistes.


Dans mes jeunes années, j’ai travaillé dans l’organisation et la gestion de spectacles vivants. En regardant le film, j’ai retrouvé les problématiques que me racontaient les artistes. Alors, je me suis demandé si des artistes blanc·hes pourraient se reconnaitre en Yvonne.

Et, instant optimiste, je me suis dit que oui.

Le personnage était suffisamment détaillé pour que l’on puisse se reconnaître dans les disputes avec sa mère, les moments de joie quand elle réussit une audition, les moments de solitude quand elle fait un job alimentaire qui la déprime.

Après tout, si ma fille peut se rêver en princesse blonde séquestrée par ses parents et affublée d’une sœur à la résilience de titane et au caractère de labrador, pourquoi un·e artiste blanc·he ne pourrait pas s’identifier à Yvonne Nguyen, simplement parce qu’iels ont en commun le fait d’être artiste ?

Devant et derrière l’écran

Oui parce rien sur nous, sans nous.

Si ces personnages réussissent à être autre chose que de énièmes stéréotypes sur les asiatiques, c’est d’abord grâce au talent de leurs auteurices.


C’est aussi parce que ces auteurices sont engagé·es et connaissent les enjeux de la représentation.

Rendre visible, oui. Reproduire des stéréotypes racistes, non.

Raconter des histoires complexes, oui. Déléguer le récit, non.

Je pensais m’arrêter là et conclure ma série sur la représentation des asiatiqueté·es, mais il faut croire que vous en demandez encore (un peu).

Dans 2 semaines, je continue donc avec un supplément réseaux sociaux, ou plutôt Instagram, parce que j’ai la flemme d’être sur d’autres réseaux.


Je tenterai de répondre à la question : peut-on rire des "chinois·es" sans être raciste ?

Et je n’aurai pas 4 heures.


Quelques ressources pour compléter votre culture générale, si vous en avez d’autres, je suis preneuse !

Juliette Phuong
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