C'était quoi ta bédé préférée ?
Le temps de cette newsletter, je vous propose un voyage dans mes souvenirs d’enfance.
On s’éloigne un peu de notre quotidien professionnel, on y reviendra dans 2 semaines, marjeudi prochain.
Ah oui, désormais, j’assume l’envoi de cette newsletter 1 semaine sur 2, mardi quand tout va bien. Et quand la vie m'en empêche, je l'envoie le jeudi.
Donc, plongeons dans mes lectures d’enfance, pour y retrouver les racines des stéréotypes sur les “chinois·es” ou les “asiatiques”.
Oui, ces stéréotypes qui me concernent très directement et que j’ai également intégrés.
Je fais l'inventaire de ce qui a construit l'imaginaire collectif sur les asiatiques. Et si vous en avez envie, je vous invite à me partager le vôtre, en répondant à ce mail.
Mon premier "chinois"
Ma première rencontre avec un “chinois” dans la BD, c’était avec Tchang, dans Tintin, la bande dessinée de Hergé.
J’avais 6 ans, et ma mère n’avait pas d’autre choix que de m’emmener à son travail les mercredis. Elle était “employée de maison” pour une famille du 7e arrondissement de Paris.
Autrement dit, elle s’occupait des 3 enfants, et parfois du ménage.
Ma mère n’avait pas le temps de s’occuper de moi, alors pendant qu’elle gérait les tâches de la maison et que les 3 enfants étaient aux activités extrascolaires, j’étais seule dans la bibliothèque de la famille.
Tintin, faut-il vraiment le présenter, est un reporter blanc qui voyage dans plein de pays, a priori pour travailler mais il finit toujours par sauver quelqu’un, parce qu’il ne peut pas s’en empêcher.
Dans l’album Le Lotus Bleu, il sauve Tchang Tchong-Jen, que je trouvais sans intérêt, puisque c’est un garçon qui passe son temps à être en danger et à admirer son sauveur Tintin (de mémoire parce que je n'ai pas le courage de tout relire).
Il y avait aussi Mitushirato, un méchant gangster japonais représenté sous des traits parfaitement antipathiques, aussi bien moralement que physiquement. Je n’avais pas saisi à l’époque le parti pris de Hergé, qui “dénonçait” ainsi l’invasion de la Chine par le Japon en 1937.
Après Tchang Tchong-Jen, il y a eu Ming Li Foo, dans Lucky Luke. C’est un blanchisseur à la peau jaune, qui fait des phrases ampoulées et des arts martiaux.
On le voit furax dans cette adaptation en dessin animé. La façon dont la colère est représentée dans cette séquence m’a interpellée. Sa colère est ridicule, il court partout, il casse frénétiquement des trucs, bref, Ming Li Foo est ridicule. C'est du moins ce que mon cerveau d'enfant retient.
Évidemment, je ne connaissais pas les mots "stéréotype" ou "caricature".
Je ressentais une vague gêne, et je me dépêchais de tourner les pages pour passer à la suite de l’histoire, pour suivre les aventures des personnages principaux, les vrais.
Mais déjà, je faisais le lien avec ce qu’il se passait à l’école.
Quand je me dessinais, j’avais du mal avec mon nez. Il est trop petit, trop rond, il n’a pas de forme en fait, il n’a pas cet angle élégant, ce profil affirmé des nez à l’occidentale.
Et quand il fallait colorier :
“Tiens prends le jaune pour colorier ta tête, moi je prends le rose”
Me dit un·e camarade de classe tout aussi amateur·ice de bande dessinée que moi apparemment.
Bim dans tes dents de lait.
Puis il y a eu Chen Liaoping
Je pourrais réaliser une thèse rien que sur Chen. Mais peut-être que cette thèse existe déjà.
Dans la bande dessinée de Laudec et Cauvin, Cédric est un jeune garçon qui a des histoires d’enfants (honte de ses parents, devoirs pas faits etc.) et qui notamment est amoureux d’une camarade de classe, Chen.
Chen est chinoise, elle est bonne élève. Elle est amoureuse de Cédric aussi, elle est jalouse, possessive et colérique. Et elle prononce des L à la place des R “CédLic”.
Je crois que c’était censé être drôle.
Alors quand on me dit que je parle bien français pour une chinoise, du haut de mes 10 ans, je ne savais vraiment pas quoi répondre, puisque je n’ai jamais compris pourquoi Chen n’avait pas perdu son accent au fil des albums.
Après tout, c’est ce qui est arrivé à beaucoup d’enfants de la génération 1.5 (arrivée avant l’adolescence en France). On est arrivé avec nos langues d’origine, et en quelques mois, on a entendu d’autres sonorités et on a gommé nos différences.
D'abord de façon inconsciente et mécanique. Et probablement pour s’intégrer.
Sauf que moi, à l’école, quand on m’appelait Chen, je n’avais pas les outils pour analyser et me défendre.
Ce que j’ai appris récemment, c’est que Chen a été aussi le premier fantasme asiatique de certains garçons. Du moins de ceux qui s’expriment sur des forums ouverts sur internet.
Si vous voulez être définitivement écoeuré·e des humains, vous pouvez lire des témoignages émus d’adultes avouant toujours leur excitation envers un personnage d’enfant asiatique.
De là à faire un lien avec les adultes qui font des fixettes sur les asiatiques que j’ai pu rencontrer par la suite…
Revenons à l’enfance.
Ma sœur et moi avons grandi avec les films d’animation Disney.
Shun Gon dans le film Les Aristochats, vous vous souvenez ?
C’est un musicien, il joue avec des baguettes, il a un accent, des yeux étirés et de grandes dents. Vous pouvez voir un extrait ici Les Aristochats - Extrait VF
Je n’arrive pas à revoir les images sans que ça ne me tord le ventre.
Et comme pour le reste, quand j'étais enfant, j’attendais que ça passe.
En 2020, Disney décide d’ajouter un message d’avertissement, en préambule de certains films
"Ce programme comprend des représentations datées et/ou un traitement négatif des personnes ou des cultures. Ces stéréotypes étaient déplacés à l’époque et le sont encore aujourd’hui. Plutôt que de supprimer ce contenu, nous tenons à reconnaître son impact nocif, apprendre de ce contenu et d’engager le dialogue et de construire un avenir plus inclusif, ensemble"
Avec ma soeur, on a ressenti quelque chose qui relève du soulagement.
Enfin ! Une prise de recul !
Puis en 2023, je lis que 58% des Français·es désapprouvent l’ajout de cet avertissement par Disney.
En effet, pour les 100 ans de Disney, une étude Ifop révèle que les Français·es, très consommateur·ices de productions Disney, sont très conservateur·ices.
Autrement dit, des personnages sans caricature et qui reflètent la diversité humaine, c’est pas trop la peine merci bien.
Pour lire l'étude en détail, c'est par ici.
En 2025, avec l'arrivée bis de Trump à la présidence des USA, Disney rétropédale :
“La plateforme va désormais écourter son message, soulignant simplement que l’œuvre «peut contenir des stéréotypes ou des représentations négatives». Surtout, l’avertissement ne figurera plus au début du film et n’apparaîtra plus que dans une section consacrée aux détails sur les films.”
Et maintenant ?
Ces films, bandes dessinées, ces histoires sont des éléments de la culture générale et populaire que j’ai partagés avec mes ami·es, mes camarades de classe, certain·es membres de ma famille. Il suffit d’évoquer l’un de ces titres pour que chacun et chacune puise dans des souvenirs émus.
Comme moi, ils et elles ont gardé en tête les pages dévorées alors qu’on savait à peine lire, les moments de partage entre ami·es, les pages cornées et parfois déchirées, les séances devant la télévision les après-midis pluvieux.
Le petit caillou en plus dans ma chaussure, c’est que je savais que tous les personnages asiatiques me reviendront dans la figure un moment donné.
Chen, Mulan, Ling (Ally Mc Beal), Cho (Harry Potter) et tous les autres.
A chaque fois qu’il y a une asiatique, il y aura une comparaison, une blague, une remarque.
A chaque fois, il faudra que je me pare de mon humour, de mon indifférence ou de ma pédagogie. Alors que spontanément, j'aimerais juste mettre un carton rouge et tourner les talons.
Donc un moment donné, mais pas aujourd'hui, je parlerai aussi de charge raciale.
Si vous n'avez pas encore vu le documentaire Je ne suis pas chinetoque, de Émilie Tran Nguyen, courez-y.
Le rapport avec l’inclusivité et l’égalité professionnelle ?
Pour améliorer l'inclusivité dans notre quotidien professionnel, que ce soit dans nos propos, nos comportements ou dans nos emails, l'un des leviers clés est de traquer les microagressions, qui sont des manifestations quotidiennes et banalisées de nos idées reçues.
Si vous avez suivi notre webinaire avec le collectif PEPI Lyon, sur la santé mentale, la sécurité psychologique et les microagressions, vous vous rappelez sans doute que :
- les microagressions peuvent être des blagues
- les auteur·ices des microagressions ne sont pas toujours conscient·es des effets négatifs
- les microagressions dégradent le sentiment d’appartenance à un collectif et peuvent nuire à la santé mentale
Si vous ne l’avez pas suivi, nous en prévoyons un autre, courant avril.
À suivre...
Dans 15 jours, je vous parlerai des impacts des stéréotypes les personnes ciblées, de la diversité des personnes derrière les termes "asiatiques" ou "chinois·es"
Cette newsletter fait partie d'une réflexion plus globale sur : "Comment représenter des personnages asiatiques sans les caricaturer ?"
Vous avez envie de réagir, de participer ?
Ecrivez-moi pour me raconter les personnages asiatiques qui ont fait partie de votre culture générale, que ce soit dans les films, les livres ou sur les réseaux sociaux.
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Juliette Phuong