☕​ Rabat-joie : mode d'emploi


Rabat-joie : mode d'emploi


“Ce n’est pas drôle.”
“C’est sexiste ce que tu dis.”
“Ce terme est homophobe.”

Faites-vous partie des personnes qui peuvent réagir immédiatement à un propos “limite limite” ?

Ou faites-vous partie des personnes qui trouvent leur répartie 2 heures après le moment et qui regrettent leur esprit d’escalier ?

Aujourd’hui, je vous parle de pourquoi et comment répondre aux propos stigmatisants.

Prenons l’exemple de la blague, qui n’existe plus évidemment, de la promotion canapé.

“Son poste, elle ne l’a pas eu grâce à son cerveau”

Ne rien dire ?

Pour la paix sociale, on serait tenté de ne rien répondre.

Faire le dos rond, attendre que ça passe.

Sauf que c’est illusoire. Laissez passer une blague sexiste, et par l’inaction, vous laissez un boulevard aux mille autres qui suivent.

Pour la paix sociale, il est donc nécessaire de pointer du doigt ce qui ne va pas, pour décider collectivement de comment ne plus le laisser se reproduire.

Quitte à jouer les rabat-joies

Comment réagir ?

Il existe plein de stratégies, le tout est d’en appliquer une.

La stratégie du jour est le questionnement.

Cela parait simple, mais il faut se remettre en contexte.

Une question, c’est généralement une phrase qui se termine par un point d’interrogation. Mais outre la ponctuation, il y a les mots que vous choisissez, le point de vue que vous adoptez.

Une question n’est pas anodine.

D’abord, votre émotion

Oui, avant d’analyser, ressentez.

Que reressentez-vous lorsque vous entendez une blague (ici, on pourrait parler de dénigrement) sexiste ?

De la colère, de l’agacement, de l’épuisement ?

Cette émotion vous appartient, vous n’êtes pas obligé-e de la partager.

En revanche, prenez le temps de la reconnaître, de lui laisser le temps de monter, avant de décider de ce que vous voulez en faire.

Puis, décortiquons : quel est le sous-texte ?

Pour que cette phrase soit compréhensible par toustes, il faut bien un stéréotype, un lieu commun : c’est celui de la femme qui obtient des promotions en accordant des faveurs sexuelles.

Formaliser le sous-texte est très important, c’est l’étape de prise de conscience du stéréotype que le propos véhicule.

Ce n’est pas parce qu’on a le même stéréotype qu’on est d’accord avec lui.

Mettre en lumière que c’est un stéréotype permet de rappeler que l’on ne parle plus d’une personne, mais d’une idée préconçue.

Ensuite, questionnons

Questionner peut prendre plein de formes différentes, avec des intentions et des effets différents.

Voici les différentes cartes que vous avez en main.

1. Votre intention

  • Clarification : Tu viens de dire qu’elle a couché pour avoir son poste ?
  • Naïveté : Je n’ai pas compris, tu peux m’expliquer ?
  • Surdité : Pardon, tu peux répéter ? -> Ne pas hésiter à le faire plusieurs fois de suite, c’est assez délicieux.
  • Rhétorique : T’es sérieux-se ?
  • Passif-agressif : Elles ne sont pas d’un autre temps ces blagues ?

2. Votre ton

Il y a ce que vous dites, et comment vous le dites. Dans le ton, vous pouvez :

  • marmonner comme pour vous même mais suffisamment fort pour qu’on vous entende
  • parler distinctement
  • durcir la voix, comme quand vous dites à un enfant qu’il n’a pas le droit de vous mordre la cuisse
  • prendre une voix douce et posée
  • chanter

3. Votre communication non verbale

Il y a aussi le langage du corps. Vous pouvez choisir de

  • planter votre regard dans celui de l’émetteurice
  • garder votre regard sur votre écran, téléphone ou café
  • croiser les bras
  • occuper vos mains en arrangeant une pile de dossiers

Piochez dans les différentes options pour composer la réaction la plus appropriée pour vous.

Par exemple, vous pouvez chanter “T’es sé-ri-eux” sur l’air de Frère Jacques, tout en continuant à pianoter sur votre ordinateur.

Lorsque vous aurez l’attention et l'étonnement de vos collègues, vous pourrez lever les yeux d’un air étonné : “Ben quoi ? C’est pas moi qui dis des trucs sexistes.”

Très vite, vous entendrez :

  • Oh ça va, c’est pour rire
  • On peut plus rien dire (compte triple)
  • Ca va il y a plus grave que ça
  • Tout le monde sait que c’est vrai
  • Tout de suite les grands mots
  • Je ne suis pas sexiste, j’ai une femme/soeur/fille/cousine/nièce

Ce sont des mécanismes de défense, voire de contre-attaque, relativement classiques. Le piège est d'y répondre car la personne est en train de se défendre sur son intention. Or, il faut amener la discussion sur les effets de ses propos.

Imaginez votre sortie de scène

Ce n’est pas parce que vous êtes intervenue que vous êtes obligé-e de faire l’éducation de vos interlocuteurices. L’objectif est de signifier votre désaccord, sans blesser à votre tour. Ensuite, vous avez le droit de tourner les talons.

Là encore, les possibilités sont nombreuses :

  • renvoi de balle : “Ce n’est pas mon travail de vous expliquer le sexisme ordinaire, il y a plein de ressources sur internet qui le font très bien”
  • pédagogue avec du temps : “Si tu veux critiquer les compétences de cette personne, alors critique-la sur ses compétences, trouve au moins un exemple précis et assume tes propos devant elle. Et si c’est pour faire rire, essaie d’être original. Tu utilises le cliché sexiste selon lequel les femmes doivent coucher pour réussir. Ce n’est pas drôle parce que c’est à cause des clichés sexistes qu’on ne prend pas les femmes au sérieux quand elles accèdent à des postes à responsabilité.”
  • pédagogue mais pas le temps : “Le cliché sexiste des femmes qui couchent pour réussir est un frein pour l’égalité professionnelle”

Il est très difficile de prendre la parole la première fois à ce sujet, de passer pour le ou la rabat-joie / féministe de service.

Vous n’aurez peut-être pas envie de prendre la parole.

Et c’est compréhensible.

Si vous avez lu jusqu’ici, votre cerveau a déjà créé les chemins des possibles.

Peut-être sans vous en rendre compte, dans chaque liste, vous avez choisi l’option la plus probable pour vous.

La prochaine fois que vous ferez face à une remarque sexiste, ces possibilités vous reviendront sans doute. Peut-être que vous en utiliserez une.

Mais à chaque fois que vous serez confronté-e à une situation fictive ou réelle, votre cerveau vous proposera des options, puisqu’il en connait maintenant.

Peut-être que la prochaine fois, vous serez à l’aise pour jouer les rabats-joies des blagues sexistes, pour qu’il y en ait de moins en moins, voir plus du tout un jour.

Alors, prêt-e à jouer les rabats-joie ?

Juliette Phuong


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