☕​ Parler des corps, sans brutalité


Parler des corps, sans brutalité

Comment parler des couleurs de peau, des origines, des accents, sans brutalité ?

Dans certaines interactions professionnelles, on nomme et on décrit les corps.

On met des mots sur nos apparences, notre corpulence, nos couleurs de peau, ou nos spécificités physiques.

Par exemple, dans les métiers de la vente de prêt à porter ou de maquillage, on peut entendre :

“Pour les couleurs de peau chocolat comme la vôtre, on ira plutôt sur une teinte corail”

“Avec votre cambrure africaine, vous serez beaucoup mieux avec un jean taille haute”

“Vous les asiatiques vous avez peu de poitrine, vous avez un grand choix pour les coupes”

Ces phrases vous choquent, ou non. Et croyez-le (ou non) toutes ces phrases ont été prononcées avec beaucoup de “bienveillance”.

Mais ce qui m’intéresse ci, n’est pas l’intention de la personne qui a prononcé ces mots. Ce sont les effets sur la personne qui les reçoit.

Pour resituer le contexte, ici je parle beaucoup des corps des femmes racisées (= non blanches). Pour 3 raisons:

  1. Je suis une femme racisée. Dans la vie pro comme perso, mes expériences de microagressions et de racisme au quotidien ont déclenché beaucoup de questions, qui se retrouvent dans ma sphère professionnelle de lutte contre les discriminations.
  2. Les corps des femmes non blanches ont une histoire différente de ceux des femmes blanches, essentiellement à cause du passé colonial de la France. Dans les colonies, les femmes servaient littéralement les besoins des colons. Elles étaient "muses" pour inspirer leurs productions, servantes pour les tâches domestiques, "épouses" pour occuper les hommes loin de leur foyer d'origine, objets de fétichisation etc. Comprenons-nous bien : tous les corps de femmes sont l’objet de stéréotypes. Simplement, ces stéréotypes ne sont pas les mêmes.
  3. Enfin, vous lisez une newsletter. Mon but est de vous alimenter intellectuellement en moins de 5 minutes, il faut donc que je cadre mes sujets !

Revenons à notre peau “chocolat”

D’abord, c’est quand même un paresseux. Ces mots ne valorisent pas la personne concernée et il y a des chances qu’elle ait déjà entendu des centaines de fois ces mêmes propos.

Ensuite c’est malaisant. La personne n'est plus unique, elle reçoit le message qu'elle est simplement une représentante d’une catégorie choisie au pifomètre.

Ce n’est pas votre intention ? D’accord. Revenons à l’effet sur la personne.

Enfin, est-ce que nous faisons la même chose pour une peau blanche ? Je ne me vois pas dire “avec votre peau pain de mie, on ira plutôt sur du beige”

Est-il possible de dire les choses autrement ? Faisons l’exercice sans utiliser de qualificatif :

“Pour votre couleur de peau, je verrais bien une teinte corail”

“Vous avez déjà essayé un jean taille haute ? C’est parfois plus confortable car cela évite de présenter un vide au niveau de la cambrure.”

“Vous avez un buste assez fin, vous avez un grand choix pour les coupes”

Qu’en pensez-vous ? Un poil mieux ?

Attention, cela n'empêche absolument personne d'être offensé par vos propos. J'ai tenté de retirer les stéréotypes qui étaient implicites dans les propos d'origine :

  • les peaux noires sont comme du chocolat (ajoutez "miam" et c'est vraiment le pompon)
  • les "africain·es" sont tous·tes cambré·es
  • les asiatiques ont de petits seins

Variez votre vocabulaire

Parfois, il est nécessaire de qualifier, et dans ce cas, ne tournons pas autour du pot.

“Sur les peaux noires, le rouge est très contrastant, est-ce que cela vous plait ?”

Pour trouver des mots pour décrire les peaux sans fétichiser, il est recommandé d'explorer la palette de couleurs issues de la nature. Voici 2 articles de blog qui en parlent.

Tout comme l’inclusion qu’on n’a pas apprise à l’école (comme tant d’autres choses, le consentement par exemple), il faut apprendre à nommer les diversités avec l'accord des personnes concernées.

Par exemple, dites “noir·e” pour parler d’une personne noire (et non pas black). Et ne demandez rien à l'Académie Française sur ce point.

Si le fait de décrire les couleurs de peau ou les corps font partie de votre métier, alors il est temps de développer ces trois compétences clés :

  • varier votre vocabulaire
  • évaluer la nécessité de qualifier les corps, surtout lorsque c’est pour accentuer qu’ils ne sont pas dans la norme
  • prévenir les microagressions

Dans une relation commerciale, vous pouvez aussi recevoir des microagressions de la part de votre clientèle. Là aussi il y a des méthodes pour apprendre à parer, sans rompre la relation clientèle et sans repartir avec la violence vécue chez vous.

Par exemple, vous êtes d’apparence asiatique ou assimilée asiatique. Vous travaillez dans un restaurant vietnamien. Vous n'êtes pas obligé·e de répondre aux questions sur vos origines, l’origine de vos parents et d’écouter en détail le récit du merveilleux voyage au Vietnam que votre client·e a fait il y a 2 ans.

Enfin, anecdote personnelle (pas) sympa.

“Vous êtes très myope mais ça c’est typique des chinois. C’est la race.”

L’orthoptiste qui m’a dit cette phrase m’a littéralement clouée sur mon tabouret.

Cela faisait 20 minutes que l’on discutait, ça se passait très bien, et tout d’un coup je me prends cette tarte mentale.

Si je lui avais répondu : “Du coup c’est une généralité qui sert à me soigner ou pas ?”

Peut-être qu’il se serait rendu compte de sa bourde. Peut-être qu’il aurait bafouillé devant mon regard myope et impassible (c’est dur d’avoir une expression précise quand on voit tout flou)

Et s’il avait suivi une formation sur les microagressions (et le racisme ordinaire), il aurait appris à dire, par exemple : “Je suis confus de vous avoir blessée, c’était hors de propos”.

Je serais ressortie de cette séance, en faisant quand même la tronche, mais en ayant moins mal au ventre, en me sentant un peu plus traitée comme une humaine et non comme “de la race des chinois”, et ces termes n’ont strictement aucun sens, disons-le pour éviter les malentendus. Les races n’existent pas. La race en tant que processus de domination oui. Mais ce n’est pas le propos aujourd’hui.

La tentation de la cécité

Vous avez déjà entendu :

“Je ne vois pas les couleurs de peau”

“Pour moi tout le monde est pareil”

J’avoue me crisper en entendant cela, parce qu’au-delà de l’absurdité du propos (sauf si on souffre d’une déficience visuelle spécifique qui fait qu’on ne peut pas distinguer Emmanuel Macron d’une aubergine), il y a surtout le déni de voir l’expérience de la personne qui vit sa différence au quotidien.

Dans le principe d’inclusion que je soutiens, il ne s’agit pas de gommer les différences entre les gens, mais de les reconnaître et d’en tenir compte lorsque cela est nécessaire pour elles et eux.

Si vous vous sentez visé·e, ou jugé·e par mes propos, je voudrais clarifier ceci : je ne cherche pas à me moquer des personnes, je cherche à mettre en lumière la conséquence des comportements que nous pouvons avoir, de façon individuelle et collective.

Ces comportements, ces impensés, alimentent des stéréotypes qui à leur tour, permettent les inégalités et les discriminations.

C’est cette boucle qu’il faut stopper.

Je constate le manque de vocabulaire dans les films ou les livres. Nous n'avons pas appris à nommer les diversités humaines, nous avons manqué de travail sur les émotions, ce qui nous empêche parfois de voir la souffrance que nous causons malgré nous.

Pour finir avec de l'optimisme, puisque c’est ma ligne édito, vous pouvez absolument changer tout ça.

Par la formation professionnelle (avec moi), par l’éducation des plus jeunes (avec mes consœurs), et surtout par le fait de questionner les petites choses, de changer les comportements du quotidien.

Qu'en dites-vous ?

Qu'allez-vous changer dans vos comportements du quotidien ?

Juliette Phuong


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