☕​ Ce qui me décourage...


"Ce qui me décourage, c'est de voir que tout peut devenir agression"

Face au découragement, quelques idées pour remonter la pente.


Dans une conversation amicale, à la pause pendant une formation, ou simplement lorsque je présente mon activité dans une rencontre professionnelle, il m’arrive de faire face au découragement de mes interlocuteurices.

J’entends alors des propos découragés, des tentatives de dédouanement (je peux pas faire plus) ou de la fuite (non mais on peut rien faire de plus).

"Ce qui me décourage c'est de voir que tout peut devenir agression"

ou encore

“On a l’impression qu’on ne peut plus rien faire sans faire du mal”

Il est vrai que le sujet de l’inclusion est complexe.

Si je vous faisais une carte heuristique (mindmap) des concepts et mécanismes qui sont reliés, il y aurait de quoi soupirer.

Car derrière les jolis mots “diversité et inclusion”, il s’agit bien d’inégalités, de violences et de discriminations.

On peut toujours chercher la performance et le bien-être au travail, mais ne nous voilons pas la face, les impacts sont très indirects, et même si “les études le prouvent”, rechercher la performance avant de travailler sur les discriminations directes ou indirectes, c’est comme peindre une belle fresque sur un mur sans retirer le crépi. Elle ne tiendra pas et le résultat sera moche.

Si nous sommes si nombreux et nombreuses à déployer autant d’outils et d’énergie pour l’inclusion, c’est parce qu’il y a urgence à réduire, ou du moins à contenir les inégalités et violences existantes.

Autrement on tresserait des couronnes de fleurs et on ferait face à beaucoup moins de trucs agressifs.

Il y a beaucoup à déconstruire, à reconstruire, à réinventer.

Du coup, ça reste complexe et on n’en voit pas toujours le bout.

Ecouter, sans rien lâcher

Au début, face au découragement, mon premier réflexe était de rassurer, remonter le moral, montrer le côté positif des choses.

Mais je sais maintenant qu’il y a un temps pour ça.

Lorsque les personnes expriment leur désarroi face à l’ampleur de la tâche, je dois d’abord les laisser parler.

Mais surtout, je ne les lâche pas, surtout pas à ce moment.

La courbe du deuil, ou la courbe du changement est un schéma très utilisé pour l’accompagnement au changement. Elle montre les différents états émotionnels par lesquels passe toute personne qui fait face à la mort d’un·e proche.


Lorsque j’entends :

“Je comprends hein, mais vraiment je sais plus par quoi commencer”

la plupart du temps, c’est une personne qui a fait un chemin, qui a pris conscience, et qui se retrouve face à la complexité, à l’iceberg entier.

Le sentiment d’être démuni survient alors, et pousse souvent la personne à se dire que c’est trop difficile.

Souvent, c’est parce qu’elle ne connait pas encore les gestes qu’elle peut mettre en place, et leurs impacts sur les violences visibles et mesurables.


Une autre version du découragement, un peu plus crispée sur le frein face au changement, teintée de cynisme :

"Le risque avec les formations sur les violences sexistes c'est qu'on finit par les voir partout".

Là encore j’invite la personne à s’exprimer, à sortir ce qu’elle a besoin de sortir, en prenant soin de cadrer les “on peut plus rien dire”, parce que le but est quand même d’avancer d’un pas, et non de reculer de trois pas.

En tout cas, je ne la lâche pas avant de lui donner quelques actions concrètes qu’elle peut réaliser, car le risque, c’est qu’elle abandonne tout simplement.

Voir, ce n’est pas créer

Avec les formations ou les sensibilisations, on n'invente pas "de nouvelles violences”.

On apprend simplement à voir celles qui existent déjà, et c’est déjà bien suffisant.

Avec les microagressions par exemple, on révèle les racines des violences existantes.

C’est l’opportunité de réduire le nombre de violences, d’agressions, de discriminations, en apprenant à les détecter et en soutenant les personnes qui en souffrent.

Non, tout ne “devient” pas agression.

En revanche, toute agression devient visible.

C’est parfois difficile à accepter, surtout si vous réalisez que vous avez pu faire partie des personnes ayant agressé sans le savoir, sans le vouloir.

Mais justement, si je sais que je peux potentiellement agresser ou discriminer quelqu’un sans le savoir, j’ai plutôt intérêt à apprendre à l’éviter non ?

Est-ce que je refuse de passer mon permis de conduire parce que je risque de comprendre que je peux blesser quelqu'un avec une voiture ?

Voir, pour agir en conscience

Devenir allié·e c’est une démarche, pas une médaille.

Il ne s’agit pas de devenir exemplaire, mais de questionner ce qu’on faisait et disait par réflexe. Il s’agit d’être en mouvement.

On apprend à devenir allié·e en faisant obstacle aux comportements qui stigmatisent des gens. Cela veut dire agir lorsque l’on fait face à une situation, mais surtout de travailler sur nos propres représentations, et ça c’est du travail !

Plutôt que de garder les yeux fermés sur ce qui nous rend inconfortable, apprenons à voir, d’abord chez nous mêmes, ce qu’on peut changer.

Je trouve que le plus difficile, pour moi, comme pour les personnes que j’accompagne dans la démarche de devenir allié·e, c’est de s’avouer que nous ne sommes pas neutres. Nous ne sommes pas le juste milieu, et nos bonnes intentions ne protègent pas les autres de nous-mêmes.

Nous avons déjà blessé, peut-être déjà discriminé. Et ça c’est drôlement vexant aussi.

Que faire ?

L’action appropriée n’est pas de s’autoflageller, mais d’agir.

Par exemple

  • ne pas rire à une blague sexiste, même si tout le monde rit, même si ça vient de Jean-Jean le responsable d’équipe
  • chercher le regard d’une personne ciblée par une remarque sur son origine, pour que vous puissiez en parler si elle le souhaite
  • demander à ce que les insultes homophobes, même si “c’est pas méchant” ne soient plus du tout utilisés

Lutte contre les discriminations, contre les violences sexistes et sexuelles, lutte contre les inégalités sociales. Les moyens d’agir sont nombreux mais il faut s’y atteler. Tant qu’à faire, attaquons-nous aux racines des luttes que nous portons déjà.

Ce qui me remonte le moral

Il n'empêche, je trouve de la joie dans mon travail parce qu'il est possible de changer les choses. Lentement (trop sans doute) mais je suis intimement convaincue que c'est possible, sinon je retournerais à mes couronnes de fleurs.

Et ce que j'aime, c'est la créativité.

Réinventer nos façons de parler, d'interagir, de plaisanter, d'insulter, tout ça nécessite de la créativité et de l'imagination.

Questionner nos façons de travailler, les outils que nous choisissons, pour que tout soit plus inclusif, c'est aussi rendre la vie plus facile à tout le monde.

Faire autrement, c'est voir les choses d'autre œil, c'est ouvrir le champ des possibles, c'est tester, recommencer.

L'amélioration continue est un travail d'artisane.

Sélection d'articles commentée

Cette semaine, cet article sur lemonde.fr a attiré mon attention. Parce que Yudori, l’autrice interviewée, malgré un travail engagé, refuse d’être porte parole d’une cause ou d’une autre, ou de devoir adopter un style graphique, juste parce qu’elle est une femme asiatique.

"1984" était un de mes romans préférés, jusqu’à ce que je le relise avec un regard d’adulte, de féministe. Les personnages féminins n’y brillent pas par leur relief, ni par leur présence. Cet article, toujours lemonde.fr présente deux ouvrages qui invitent à se replonger dans l’univers de George Orwell, en se focalisant sur Julia, le seul personnage féminin du roman, ou en découvrant Eileen O’Shaughnessy, l’épouse de George Orwell, dont on ignore quasiment tout.

Cet article du Courrier International évoque les personnes qui “oublient” de payer aux caisses automatiques. Elles ont des raisons très différentes, certaines n’ont pas les moyens, d’autres sont révoltées contre les suppressions d’emploi dues aux caisses automatiques. Mais elles ont en commun le privilège d’être blanches, et elles en ont conscience. Elles n’en sont pas fières, mais elles savent qu’elles sont moins surveillées, qu’elles s’en sont déjà sorties avec un sourire et des excuses. C’est sans doute l’un des rares articles qui illustrent autant le privilège blanc, sans le nommer.

Merci d'avoir lu jusqu'au bout !

Juliette Phuong


On vous a transféré cette newsletter ?
Abonnez-vous pour être sûr·e de recevoir les suivantes !

Blend, ce sont des ressources pour l'inclusion, à partager avec ses collègues, son entourage pro ou perso.

Vu merci fait partie de Coopaname, coopérative d'activité et d'emploi
3 rue Albert Marquet, Paris, IDF 75020
Unsubscribe · Preferences

Hey ! C'est Juliette

Je forme les entreprises à changer pour devenir plus inclusives, plus conscientes des diversités actuelles et futures. Dans ma newsletter je donne des billes pour agir concrètement pour l'inclusion.

Read more from Hey ! C'est Juliette

Inventons des fêtes plus inclusives Vous reprendrez bien un peu de tradition ? Coucou, les fêtes de fin d’année reviennent, avec leur package de rituels bien ficelés. Le sapin, la crèche, le foie gras, le champagne, le calendrier de l’avent etc. sont des composantes de festivités de fin d’année assez classiques. En France, Noël est une fête ancrée dans la tradition chrétienne. Voilà pour le pied dans la fenêtre ouverte. Les personnes qui n'adhèrent pas à ces traditions ou qui ne souhaitent...

"Qui ne dit mot, consent" Consentement et pratiques inclusives au travail Bonjour, Si c'est la première fois que vous me lisez, bienvenue ! Chaque mardi matin, je vous partage l'analyse d'une notion en lien avec l'inclusion, le mode d'emploi d'un outil, une ressource, ou une revue de presse. Le but, c'est de vous accompagner chaque semaine à rendre vos pratiques professionnelles un peu pus inclusives. Si vous me lisez chaque semaine déjà, merci d'être là, vos retours m'aident à améliorer...

L'humour et le couteau L’humour est un outil. Le couteau également. En formation ou en atelier, je présente différentes stratégies pour répondre aux microagressions. Systématiquement, on me fait remarquer qu’il manque l’humour dans ma liste. Je ne prends pas toujours le temps de détailler pourquoi l’humour n’est pas une stratégie que je priorise dans mes interventions. Je le fais donc ici, en ayant le sentiment d’être une MEGA rabat-joie, alors que je vous promets de l’optimisme à tout va....